Les contes de Mamé |
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Lorsque l’Atlantique là-bas, plus loin, hors de l’horizon, s’emporte, à Chamboulive on en perçoit la respiration puissante. Ainsi un jour de printemps en nous éveillant nous avions entendu la vieille maison craquer et frémir sous les coups de boutoir d’une tempête. Le vent rageait de devoir contourner les bâtiments. Il s’exaspérait en hurlements pour marquer parfois une pause chuintante avant de reprendre force et de repartir à l’assaut. Des volets mal attachés claquaient, tout ce qui n’était pas abrité s’envolait, roulait ici et là. Tout d’abord nous sommes restés soigneusement cachés sous nos édredons, silencieux et attentifs. Nous écoutions cet élément déchainé et tellement formidable. Mais bientôt cela ne nous suffit plus, et voyant passer devant la fenêtre des feuilles arrachées qui montaient vers les nues, nous avions éprouvé le besoin de participer à cette folle sarabande.
Nous avons emprunté un drap et deux grands doubles rideaux inutilisés avant de nous ruer vers la petite colline au-dessus des champs. Nous avons attaché une ficelle à chaque coin des pièces de tissu et les avons solidement tenues deux par deux dans chaque main. Alors arc-boutés face au vent, nous avons couru de toutes nos forces sur chemin bien en pente, les bras levés haut pour étirer les grandes étoffes où les rafales s’engouffrèrent avec force.
Follement excités, nous étions tendus ardemment vers ce désir fou de nous envoler. Et le miracle se réalisa… Nous étions minces et légers, aussi aidés par la déclivité et la large surface portante de la toile , nous avons décollé… Nous étions soulevés légèrement, frôlions à nouveau le sol, puis sur la pointe des pieds nous courions à nouveau avant d’être arrachés à la terre. Nous avons passé là des heures pour moi inoubliables. Icare en herbe, mais Icare ayant touché au ciel sans se brûler les ailes.
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