Les contes de Mamé

 


La gent trotte-menu



En 1949, quand Mamé, son frère et sa sœur étaient petits, ils ont eu la varicelle en même temps. On nous avait installés ensemble dans une grande chambre du premier étage. Nous étions couverts de boutons qui démangeaient furieusement. Nous avions de la fièvre et n’étions vraiment pas bien. Notre Marissou venait nous voir régulièrement avec des infusions de plantes qu’elle connaissait.

Dès qu’un mieux se manifesta, nous avons cherché des distractions. Marissou nous montait nos repas et insistait pour que nous mangions. Comme elle n’avait pas le temps de nous surveiller de près, dès qu’elle tournait le dos, nous prenions des dispositions particulières pour notre nourriture…

Nous ne raffolions pas des légumes, ceux-là nous les expédiions discrètement par la fenêtre dans le jardin où ils faisaient le bonheur des canards, nous chipotions un peu dans les pâtes, les pommes de terre, et mangions du pain. Mais saucisses, fromages et biscuits étaient très appréciés… par nos petites camarades !

En effet au hasard de nos maladies infantiles, nous avions découvert que la vieille maison cachait d’autres habitants en plus des humains. La gent trotte-menu avait des droits bien antérieurs aux nôtres… Nous la protégions en neutralisant pièges et tapettes !

Les souris nous acceptaient sous réserve qu’elles y trouvent avantage. Alors plutôt que de dévorer livres, linge, provisions de la réserve, elles préféraient des denrées intéressantes servies à domicile. Elles avaient leur réseau de circulation et leur résidence parallèle aux nôtres dans les planchers et plafonds. Au ras du sol, elles avaient ouvert des entrées sous les plinthes.

Aussi en plus de cette nourriture que nous prélevions sur nos repas que nous emballions soigneusement, nous chapardions régulièrement une lampe de poche. Le soir nous faisions semblant de dormir et attendions impatiemment que toute la maisonnée sommeille…

Quand la nuit et le calme régnaient, nous émergions de nos lits avec précaution pour préparer le festin de nos petites amies. Elles venaient sur le bord de leur trou en bas du mur et commençaient à fureter ici ou là, et doucement nous posions le reste de nos repas par terre.

En peu de temps, les petits rongeurs étaient devenus très familiers et ne nous craignaient pas. A la lueur de la lampe de poche, nous les observions avec passion et amusement ! Elles prenaient leur temps les petites souris, circonspectes, les moustaches frémissantes ; leurs yeux en pépins de raisin, noirs et brillants nous épiaient ; nous devions faire bonne impression, car alors elles se décidaient à faire leur marché !

L’expression du museau changeait, elles paraissaient sourire ; les minuscules corps semblaient parcourus de frissons d’excitation… Elles couraient d’un paquet à l’autre, s’asseyaient, et de leurs pattes de devant prélevaient un morceau qu’elles humaient, goûtaient, et souvent plutôt que de le manger dans l’instant, elles se hâtaient de l’emporter dans leurs réserves.

Passé un certain temps, enhardies, elles ont commencé à escalader nos lits pour nous voir de plus près ! Nous étions dans la joie et vivions des heures charmantes… Elles acceptaient que nous passions un doigt léger sur leur dos, ou effleurions leurs fines moustaches.

Parfois nous ne pouvions nous empêcher de rire ou de parler un peu plus fort : aussitôt nous nous arrêtions le souffle suspendu, le corps figé, attendant quelques instants, pour reprendre nos chuchotis d’être sûrs que les grands dormaient toujours. La moitié de la nuit y passait. A l’aube, nos petites amies souris disparaissaient comme elles étaient venues, vives et discrètes, et nous ravis mais épuisés de fatigue sombrions dans un sommeil réparateur…

Le temps de notre vie au Puy Baron nous avons partagé la vie nocturne du petit peuple couleur de nuit !


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