LES ORGUES DE STALINE
(été 1944)
 
 
Acteur involontaire,
dans une de ces guerres insensées,
où des millions d'hommes meurent
pour la victoire dérisoire d'une doctrine.
Je suis couché dans ma tombe ouverte,
les yeux rivés dans l'au-delà du ciel,
je sens mon appartenance à l'univers,
et presque indifférent, m'en contente.


Dans un fracas dantesque
les orgues de Staline sont déchaînées,
leurs impacts tombent au hasard
et cueillent leur tribut de chair humaine.
Je n'ai pas peur, je ne prie pas,
je n'implore pas le ciel de m'épargner,
je ne vois pas ma courte vie
défiler devant mes yeux,
le temps de mon existence est suspendu.


Le pays est dévasté, les maisons brûlent,
et beaucoup de ceux qui sont venus de si loin
gisent dans leur sang sur ce sol étranger,
leurs pauvres membres disséminés.
Mais la nature, imperturbable,
reprendra ses droits,
absorbera en son sein ses enfants,
supprimera petit à petit
les traces de la folie des hommes,
pour n'en garder qu'un souvenir amer
dans les coeurs meurtris.

      © France TARDON/APPRILL