Les contes de Mamé

 


Minette la douce



Nous avions notre maison dans la campagne du Kochesberg, depuis deux ou trois ans, lorsque que Minette est entrée dans notre vie. Nous venions y passer les week-ends et les vacances avec les enfants et nos animaux familiers.

A cette époque nous avions les trois chats : Misouli, Chouchou, Domino et le chien boxer Tomy. Sans parler du terrible matou Méphisto qui squattait chez nous dès que nous arrivions. Au fil du temps Mamé a remarqué une petite chatte toute noire, craintive et méfiante qui restait en lisière du jardin. Elle n’osait pas s’approcher craignant tout : nos chats, le chien et nous qu’elle ne connaissait pas. Elle semblait une pauvre petite bête plus ou moins à l’abandon et mal en point.

Comme elle lui faisait peine, Mamé quand elle l’a voyait, allait lui apporter à manger discrètement vers le verger. Petit à petit Minette s’est apprivoisée. Le vétérinaire a pu la soigner. Elle venait en courant et miaulant quand Mamé l’appelait en secouant une boîte de croquettes.

Minette prenant confiance a commencé à se frotter contre Mamé, elle ronronnait sans s’arrêter en se laissant caresser. Mais au moindre bruit ou mouvement brusque elle se sauvait apeurée. Après des semaines nous avons deviné que Minette nous attendait et devait rester aux aguets. Elle apparaissait peu après notre retour.

Gros Tom s’était habitué à la voir et la laissait tranquille. Le trio des chats était très mécontent et l’aurait bien chassée. Mais Mamé les avait à l’œil et à chaque tentative de coup de griffe, ils prenaient une bonne tape avec un journal.

Petite Minette a eu le droit d’entrer dans la maison dans la journée. La coquine restait près de Mamé et marchait fièrement la queue droite comme un « i », l’air de dire aux autres « alors, me voilà ! Essayez de m’attaquer et vous verrez !»

Pour faire plaisir à Mamé, Minette qui chassait des mulots énormes, les lui rapportait fidèlement. Certains matins il y en avait trois ou quatre bien alignés devant la porte, et elle assise à côté attendant des compliments ! Mamé la félicitait avant de transporter les bestioles plus loin. Une écuelle de bonne pâtée évitait de revoir les mulots à la maison !

Quelques fois les cadeaux lui échappaient bien vivants et se précipitaient dans la maison : orvet, libellules, grenouilles, musaraignes et campagnols. Une fois une grosse taupe myope mais pas sotte avait ainsi trouvé refuge derrière la cuisinière. Arriver à la récupérer sans la blesser…très difficile à plat ventre sur le carrelage avec une lampe de poche et une passoire-tamis à manche. Elle a eu la chance d’être relâchée près des ruines du moulin, en attendant de repartir sous terre faire de belles taupinières sous notre pelouse.

Une autre fois c’est une souris des champs que Minette en jouant a laissé filer sous le canapé du salon, les enfants l’ont vu mais n’ont rien dit. Et soudain le soir Mamé qui regardait la télévision a cru avoir des hallucinations…une souris courait à toutes pattes sur le meuble avant de grimper sur le mur crépi et de disparaître entre le plafond et une poutre.

Cette souris ! Nous l’avons vu partout ! Il a fallu faire un plan stratégique de plusieurs jours pour arriver à la faire revenir au salon, et pendant trois soirs, laisser les portes-fenêtres ouvertes derrière les persiennes. Dans le silence de la nuit notre souris a fini par sentir l’air frais et l’appel de la liberté en se faufilant en-dessous des volets.

Minette petit à petit se faisait une place mais jusque là Papé exigeait de la remettre dehors pour la nuit. Il disait qu’elle avait passé des années dans ce village et avait certainement des abris dans l’une ou l’autre grange de ferme où elle était née.

Mais Minette ne voulait plus de cette vie difficile. Alors pauvre chérie, elle venait gratter pour rentrer derrière les grandes portes en verre de la véranda. Debout sur ses pattes arrières elle grattait et grattait, toute noire dans la nuit noire avec juste ses yeux qui luisaient et Papé sursautait de surprise en passant et disait « Mon Dieu ! on dirait un gremlin ! »

A force de faire la pauvrette Minette a obtenu pour l’hiver suivant le droit de devenir le quatrième chat de la famille. Elle est rentrée en ville avec nous, a eu son panier et son coussin de chatte citadine. Elle était douce et gentille avec tous, mais c’était le chat de Mamé. Elle devait avoir deviné que c’était Mamé qui l’avait recueillie et sans doute sauvée en la faisant soigner.

Après quelques mois en appartement, elle a pu retrouver sa campagne quand la famille a déménagé dans la maison des champs. Mais elle a fait ce retour comme un chat qui a une famille et une maison pour vivre. Les premiers jours, elle a fait le gremlin à chaque fois pour rentrer. Mais quand elle a compris qu’elle était chez elle et pouvait aller et revenir comme nos autres chats, elle n’a plus eu cette peur d’être abandonnée.

C’est ainsi que Minette la douce a coulé des jours heureux pendant des années.


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